par Mathieu Parent M.A.
Il y a 50 ans, en octobre 70, la Loi des mesures de guerre (LMG) est promulgée par le gouvernement du Canada. Tout le Québec est pris en otage. L’acte de guerre « hors-la-loi » du gouvernement vise des milliers de personnes à cause de leurs sympathies politiques réelles ou apparentes ou parce qu’elles se trouvent à la mauvaise place au mauvais moment. La cible dépasse largement les (quelques) responsables d’enlèvements politiques participant au Front de Libération du Québec (1) militant pour une révolution sociale québécoise.
Un large spectre de citoyen-ne-s est abusé. L’armée se joint à la police, des milliers de fouilles sont effectuées sans mandat, près de 500 personnes sont emprisonnées avec violence, sans avoir droit à l’assistance d’un-e avocat-e. (2) Les communications sont contrôlées et manipulées. Des personnes et groupes de diverses allégeances politiques, d’ici et d’ailleurs, incluant des anglophones (3), critiquent vertement cette expression des racines autoritaires et féodales du Canada.
Un événement à comprendre dans une histoire sociale
L’histoire populaire contient d’autres exemples de recours législatifs et violents bafouant les droits et libertés des personnes et des peuples pour attaquer des idées et mouvements sociaux. L’expérience de la Crise d’octobre est reliée à une expérience sociale et historique plus longue (4).La répression de l’immense grève générale de Winnipeg en 1919, celle sanglante des mouvements québécois anti-conscription, ainsi que la chasse aux sorcières communistes et progressistes sous la Loi du Cadenas proclamée à partir de 1937 durant le règne de Maurice Duplessis, en sont des exemples consternants. Ce dernier « remplaçait » lui-même un décret rendant illégal le parti communiste au début du siècle. Il fallut 20 ans pour que l’arbitraire Loi du Cadenas soit invalidée.
En 1969, tout juste avant la Crise, alors que la métropole est le théâtre de nombreuses manifestations. Certaines tournent aux coups avec la participation d’une police peu ou mal formée et provoquante. L’administration Drapeau-Saulnier (D.-S.) de la ville de Montréal montre alors elle-aussi un penchant autoritaire. Elle édicte alors un interdit de manifester dans les quartiers centraux, que les femmes qui donneront naissance au Front de libération des femmes du Québec ont été les premières, le 28 novembre 1969, à braver pacifiquement cet interdit qui instaurait le règlement 3926, ancêtre du règlement P-6 qui a été abrogé en 2020, 50 ans après !
La suspension du droit de manifester n’a qu’attisé des tensions. Tensions déjà nourries par l’essoufflement des réformes de la « révolution tranquille », considérant le vent de décolonisation et l’activité des mouvements sociaux soufflant tant une volonté que des idées de changement. Ni l’action courageuse des femmes, ni l’état de guerre n’empècha l’administration D.-S. de tenir des élections municipales en novembre 1970 alors que l’armée occupe le Québec sous la LMG et que certains de leurs adversaires politiques avaient été emprisonnés sans procès.
L’État d’exception
Aujourd’hui, les pratiques de l’État d’exception sont presque devenues normales (5). Les lois spéciales, l’usage du bâillon à l’Assemblée nationale, la militarisation de la police et les lois générales pour lutter contre « le » terrorisme brisent des règles de l’État de droit. Nous devons chercher ailleurs les déterminants effectifs de la justice sociale. Ces excès de contrôle ne règlent rien quant aux causes profondes des maux dont ils nourrissent le pouvoir. Les intérêts des classes dominantes sont les premiers servis par cette violence d’État qui sévit au détriment des libertés et des démocraties avec leurs responsabilités, défis et débats sociaux et environnementaux.
Considérant que « nos » politiques néolibérales creusent les inégalités socioéconomiques, s’accommodent de paradis fiscaux et de zones franches (au nombre de neuf au Canada); qu’elles renouvèlent l’exploitation des travailleur-se-s et de la nature de par le monde; qu’elles favorisent les déréglementations qui amenuisent les souverainetés populaires (incluant autochtones), il nous a semblé doublement important de participer à l’actualisation (critique) d’enjeux et d’archétypes des luttes et résistances poussés en marge de l’histoire.
(1) Gendron, G., Gravel, A. (2010) Les camps secrets du Canada. Enquête. Le 14 octobre. Archives de la Société Radio-Canada. Repéré à : https://ici.radio-canada.ca/emissions/enquete/2010-2011/Reportage.asp?idDoc=121774
(2) Sur le sujet de la Crise d’octobre, la BanQ a établi un riche base bibliographique en 2010 : banq.qc.ca/collections/collections_patrimoniales/bibliographies/crise_octobre.html
(3) L’ouvrage Trudeau et ses mesures de guerre présentes quelque-unes de ces voix dissidentes, dont celles de Margaret Atwood, Tommy Douglas et Peter C. Newman. Leurs textes y sont présentés et commentés par Bouthiller G. et Cloutier E.. Ce livre est paru en 2011 aux éditions du Septentrion.
(4) Andrée Ferretti procède à l’exercice dans De Londres à Ottawa, le terrorisme d’État dans l’histoire du Québec, paru dans l’Action nationale d’octobre 2000, où elle trace une perspective historique québécoise.
(5) Agamben, G. (2003), L’État d’exception, Homo Sacer. Seuil : Paris.